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Joaillerie : le diamant de labo sort du lot

« Diamants cultivés en laboratoire ». C’est cette formulation emphatique qui, sur le site Internet de Prada, est employée pour décrire une chaîne volumineuse, introduite à l’automne 2023, faite de maillons en or jaune sertis de « 40,2 carats » de diamants. La maison milanaise réputée pour avoir, du côté du prêt-à-porter, ennobli le Nylon dans les années 1990, va-t-elle devenir celle qui légitime, en joaillerie, les diamants fabriqués plutôt que minés ? Après tout, « Prada a toujours navigué entre deux rives : le classicisme et l’innovation, le luxe et la mode », nous affirmait en 2022 son directeur de la joaillerie, Timothy Iwata.
Sur cette chaîne, le choix du diamant de laboratoire a permis de tailler les pierres en triangle, comme le logo maison. Une forme qui, en diamant naturel, s’avère un défi technique. En effet, trouver un morceau de diamant brut dans lequel tailler trois côtés nets dont la couleur et l’éclat doivent être constants est plus délicat que trouver les habituelles tailles « coussin », « ovale », « brillant » ou « poire ». Le collier Prada qui, en diamants de mine, aurait coûté « bien au-delà de 1 million de dollars [905 000 euros] », selon les calculs du Washington Post, avoisine les 300 000 euros.
Prada n’est pas l’unique griffe établie à flirter avec le diamant de synthèse. Au cours des deux dernières années, des joailliers et horlogers de renom, de Fred à TAG Heuer, ont commercialisé des pièces en contenant. Le bijoutier danois Pandora s’y est converti depuis 2021, quand l’horloger suisse Breitling compte y passer à 100 % d’ici à la fin de l’année.
Il y a encore trois ans, pourtant, les grands noms se pinçaient le nez devant ces carats obtenus par compression de carbone à haute pression et haute température ou par « dépôt chimique en phase vapeur », une formation dans une atmosphère emplie d’hydrogène, de méthane et de gaz carbonique. Dorsey, Kimaï, Brilliant Earth, Vrai : les labels qui les employaient étaient plutôt des marques indépendantes à l’esprit start-up et vendues en ligne.
Au-delà du fait que les diamants de laboratoire peuvent comporter les mêmes propriétés de dureté, de brillance ou de couleur que les diamants naturels, leur montée en puissance s’explique en partie par leur plus-value stylistique. Ainsi, de la même manière que Prada peut sertir des diamants triangulaires sans difficulté, TAG Heuer s’est mis à fabriquer des couronnes pour ses montres à partir d’un seul diamant de synthèse, ce qui serait une gageure à partir d’un équivalent naturel.
De même, la marque parisienne Unsaid commercialise des pendentifs, boucles d’oreilles ou solitaires en tailles brevetées « bubble » (bombée et facettée comme une boule disco) ou « flame » (un losange qui ondule), qui, en diamant naturel, relèveraient du casse-tête ou de l’impossible. « Le diamant de synthèse peut déboucher sur un design audacieux, défend Philippe Nobile, le PDG d’Unsaid, marque qui s’installera à deux pas de la place Vendôme en novembre. Quand vous achetez une robe Dior, ce n’est pas seulement la soie qui vous attire, mais aussi l’exécution, le savoir-faire. »
Autre valeur ajoutée : la teinte. Car les diamants de couleur – rarissimes dans la nature et vendus à des prix propres à provoquer une attaque cardiaque au commun des mortels – deviennent, dans leur version reproduite chimiquement, de cent à cinq cents fois moins coûteux. « Et l’on peut aller loin dans les nuances souhaitées », témoigne Keagan Ramsamy, directeur artistique de la jeune maison parisienne Mazarin, fondée en 2022, dont le nuancier oscille du jaune au vert, du rose au bleu. Sa dernière bague imitant un nautile enserre, au sein d’une marqueterie d’ivoire et de jaspe, un diamant bleu de presque 3 carats, en taille « rose », une forme ovale très rare à l’état naturel.
A ces possibilités esthétiques s’ajoutent d’autres arguments. Le premier, énoncé par l’expert Paul Zimnisky, est d’ordre pragmatique : « A l’avenir, les ventes en diamants de laboratoire, qui tutoient aujourd’hui les 20 % du marché, dépasseront largement les ventes en diamants naturels, ne serait-ce que parce que les ressources géologiques sont limitées. » Autant, en somme, expérimenter dès maintenant.
Le deuxième argument se veut éthique. Les conditions troubles du minage et la crainte de financer par les « diamants de sang » des conflits en zones de guerre découragent de céder aux pierres naturelles. Enfin, un troisième argument, écologique, émerge. Ces derniers mois, plusieurs laboratoires fournisseurs (Diamond Foundry, Fenix, ALTR), en fonctionnant aux énergies renouvelables ou en compensant leurs émissions de CO2, se revendiquent neutres en carbone, pour mieux dénoncer les dommages environnementaux du minage.
Conséquence ? « Des marques qui, jusqu’à récemment, proféraient que le diamant était une merveille de la nature, déclarent désormais que c’est l’être humain, son intellect et sa science qui font des miracles », décode Alice Riou, professeure de marketing à l’EM Lyon Business School. De quoi se perdre dans ce qui ressemble à un double discours…
De fait, s’il embrasse de plus en plus le synthétique, le secteur ne veut pas s’aliéner le diamant naturel. Ainsi, Fred, qui avait introduit en 2023 une collection de haute joaillerie dotée de diamants de laboratoire généreux, d’un turquoise bien précis, affirme aujourd’hui que cette initiative n’était que ponctuelle. Prada fait cohabiter les deux types de pierres dans son offre.
« A force de jouer sur les deux tableaux, le risque est d’alimenter une démystification du luxe, de rendre le bijou moins désirable », met en garde Alice Riou, prenant également l’exemple du groupe De Beers. Sur son site, la marque encense les diamants naturels comme « brillants, magnifiques, âgés de milliards d’années », tout en laissant Lightbox, son label de diamants de synthèse lancé en 2018, revendiquer froidement, sur sa plateforme, de pouvoir « cultiver une pierre d’un carat en deux semaines ».
Valentin Pérez
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